Parmi tous les articles traitant de l'attentat commis dimanche soir au Caire, au Khan El-Khalili, très peu posent des perspectives vraiment intéressantes. A part un article de Al-Ahram Hebdo, évoquant "la réalité politique" comme facteur de conflits en Egypte, et la blogosphère égyptienne qui a très vite fait le parallèle avec la discussion prévue très prochainement sur le projet de loi anti-terroriste*, la plupart des autres journaux se demandent plutôt si les auteurs sont des intégristes salafistes violents, Al-Qaeda, le Hamas, ou des jihadistes isolés, ... En tous les cas des intégristes religieux-ses borné-es et à l'idéologie précaire.
C'est cela, dépolitisons l'acte, déresponsabilisons les auteur-es, cela évitera de poser des questions qui fâchent...
Par exemple, pourquoi s'en prendre à des touristes (même si des égyptien-nes ont été touché-es)? qu'est-ce qu'illes représentent (en termes (de domination) économiques, politiques, culturels, sociaux...)? quelle est la réalité sociale du pays et de sa population? comment peut-on expliquer le recours à la violence? quels sont les enjeux politiques internes (loi sur le terrorisme), et régionaux (Palestine)?
Alors que l'année 2008 a été marquée par une explosion de mouvements sociaux en Egypte, touchant des catégories très diverses de populations, faisant craindre au pouvoir en place la résurgence des "émeutes de la faim" de 1977, et donnant lieu notamment à une journée de grève générale le 06 avril, il semble que l'année 2009 s'annonce tendue pour les égyptien-nes, dans le contexte de crise économique actuelle, et vu le régime politique en place.
Dans un pays où, on ne cesse de le répéter, le tourisme représente "11% du PNB, 19% des recettes en devises étrangères, et 12,6 % de la main-d’œuvre", tout est fait pour maintenir et développer cette industrie "vitale". Ici, le touriste est roi: on n'hésite pas à expulser des gens et détruire leurs maisons pour construire des "musées à ciel ouvert", on lance de grandes campagnes de sensibilisations pour "éduquer" les masses égyptiennes sur comment se comporter avec les étrangers, on met en place une police touristique et on quadrille le territoire pour garantir la sécurité des voyageureuses, on demande aux commerçant-es et aux personnes qui en vivent de ne pas augmenter leurs prix pour ne pas faire fuire le tourisme, on investit 40 millions de dollars pour développer le secteur... Et surtout, on maintient fortement ancrée dans les esprits la classification entre "touristes" "blanc-hes", "étrangèr-es", "riches", et "pauvres" "égyptien-nes" "musulman-es", "accueillant-es et rieur-euses"....
Forcément, quand le tourisme devient le symbole et le point d'ancrage d'un système répressif (en termes politiques: soumission aux pays occidentaux, domination des "blanc-hes" sur les "arabes"; économiques: les touristes comme principale ressource économique du pays, dont les bénéfices vont toujours à la même minorité de la population; mais également sociaux, culturels, et même judiciaires: il vaut toujours mieux avoir une nationalité étrangère lorsque l'on a affaire à la police égyptienne!), il devient aussi, de fait, la cible de la violence sociale et politique (car c'est bien de cela qu'il s'agit!). Et après tout, les touristes sont fortement responsables des conditions de vie et d'exploitation des égyptien-nes, il serait trop facile qu'illes soient exempt-es des conséquences...
A l'encontre des médias dominants, il est important d'affirmer que ce qui s'est passé dimanche soir au Caire n'est pas juste un "événement" médiatique, un "risque" parmi d'autres, connu des touristes et des tour-opérateurs et qu'il faut bien apprendre à faire avec, mais bien un révélateur des tensions et des frustrations qui traversent la société égyptienne. Même si l'on ne partage pas le fait de s'en prendre à des vies humaines, ni les thèses des différents courants islamistes, on ne peut se contenter de se réfugier derrière les dénonciations bien-pensantes et néo-coloniales renvoyant les auteur-es de ces actes à leur dimension "barbare", "sauvage", "sans idéologie".
Si les solution prônées par différents groupes islamistes (il reste à prouver que cet acte ait été commis par des personnes ayant des motivations religieuses) ne sauraient certes nous satisfaire, on ne peut cependant nier la violence de la société - et du régime - égyptien-ne actuel-le.
Il ne faudrait pas que l'émotionnel médiatique et le politiquement correct nous fasse oublier que c'est la population égyptienne qui est aujourd'hui clairement la victime d'un système oppresseur et répressif.
Se contenter de condamner des actes "terroristes" est un moyen facile pour ne pas nous interroger sur notre rôle (en tant que "blanc-hes", "occidentales-aux", "riches"...) dans ce système oppresseur...
Si aujourd'hui l'Egypte fait la une de l'actualité par la mort d'une touriste française, il ne faudrait pas oublier que, depuis 2005 particulièrement, c'est tous les jours que des gens en lutte sont soumis à la répression la plus féroce, aux assassinats, à l'emprisonnement, à la torture... Ouvrier-es de Mahalah, bédouin-es du Sinaï, activistes politique, elleux aussi méritent toute notre attention et notre soutien!
* Très prochainement devrait être discutée au Parlement égyptien une loi sur le terrorisme, qui permettrait d'abolir l'Etat d'urgence, en vigueur depuis 28 ans... Ce débat a été plusieurs fois annoncé, puis reporté "pouir raisons de sécurité". Il est sûr que l'Etat d'urgence (mesure d'exception en théorie) permet aux autorités égyptiennes tous les abus... Paradoxalement la promulgation d'une telle loi antiterroriste donnerait "au moins aux citoyen-nes un minimum de protection et de respect de la constitution"...
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