Profitant des tensions dans le Sinaï, où l'armée égyptienne mène des opérations contre des groupes dits "terroristes" après la mort de soldats égyptiens dans la péninsule en début de mois, le nouveau président égyptien, issu des Frères musulmans, a surpris tout le monde dimanche dernier par l'annonce de nouveaux décrets qui ont fait l'effet de véritables bombes.
En effet, ceux-ci déclarent la mise à la retraite du Maréchal Tantaoui, chef du Conseil Suprême des Forces Armées et bête noire des révolutionnaires depuis plusieurs mois pour sa gestion dictatoriale de l'Egypte post-Moubarak, et d'un autre haut fonctionnaire militaire, ainsi que l'annulation du décret "supra-constitutionnel" émis par le SCAF juste avant l'annonce des résultats des élections présidentiels, et dans lequel les militaires s'accordaient en gros tout le pouvoir législatif, ne laissant au Président ainsi élu qu'un rôle fantoche et flou. Rappelons qu'à ce jour, l'Egypte n'a toujours ni constitution, ni Parlement, et que de nombreuses incertitudes flottent quand au sort de ces deux éléments...
L'annonce du cabinet de Morsi a donc provoqué un coup de tonnerre, mais que cache-t-elle réellement?
Beaucoup y ont vu un "coup de force" de la part du Président, un élément de plus dans les rapports conflictuels qu'entiendraient les deux principales forces au pouvoir en Egypte (l'armée et les Frères musulmans).
Mais d'autres analystes relèvent que cette décision pourrait avoir été négociée avec le SCAF, pour permettre à deux de ces figures les plus visibles - et donc détestées - de ne pas connaître le sort réservé à Moubarak et autres piliers de l'ancien régime, et de leur permettre une sortie en coulisses sans heurts. De plus, au final, cette décision arrangerait tous les acteurs concernés: les Frères musulmans et Morsi, qui apparaissent en position de force, et qui se retrouvent de fait avec les pleins pouvoirs (Morsi aurait maintenant en main plus de pouvoir que Moubarak et Tantawi réunis...); l'armée, dont les privilèges sont conservés, mais qui se retire du devant de la scène, ne sera donc désormais plus la cible de la vindicte populaire, tous les torts retombant désormais sur les Frères musulmans qui gèrent de fait les affaires intérieures; les Etats-unis même y trouveraient leur compte, puisque deux des personnalités nommées au gouvernement en remplacement seraient des "hommes des Etats-Unis" au sein de l'appareil militaire égyptien.
A la tête de l'Etat donc, finalement, passés les moments de surprise et de doute, il semblerait que tout le monde y trouve son compte. Pour la population égyptienne, par contre, on est en mesure de s'inquiéter, et de se demander ce que Morsi va faire de ses nouveaux pouvoirs?
Pour le moment, les prévisions sont plutôt sombres: alors qu'il a récemment fait libérer des membres de groupes islamistes dits "terroristes", des milliers de révolutionnaires sont toujours enfermé-es dans les prisons militaires. La gestion économique du pays s'avère pour le moment assez catastrophique, avec, dans différentes villes du pays, des coupures récurrentes d'électricité depuis quelques semaines. De plus, dans les derniers jours, le journal El-Destour s'est fait une fois de plus interdire de parution pour "offense au Président, incitation à la sédition confessionnelle et au chaos dans la société", ce qui rappelle les grandes heures du régime de Moubarak. La chaîne privée El-Faraïn, très anti- Morsi s'est également fait priver d'antenne pendant au moins un mois.
Les Frères musulmans se défendent de vouloir devenir le nouveau PND (Parti National Démocratique, parti de Moubarak, qui était quasiment le seul parti autorisé jusqu'à la chute de l'ancien raïs), mais semblent bel et bien vouloir établir leur main-mise sur tous les secteurs clés du pays. Reste à savoir comment la population égyptienne va réagir. Alors que la situation économique ne s'améliore pas, au contraire, et que les espoirs déclenchés pendant la Révolution semblent s'éloigner de jour en jour, la fin des festivités du Ramadan et de l'Aid, la semaine prochaine, pourrait voir resurgir une contestation sociale traditionnellement en stand-by à cette époque de l'année....
Des appels pour une "deuxième révolution" circulent d'ores et déjà sur les réseaux sociaux pour la fin du mois d'août, où des "millioneya" (manifestations massives) sont attendues...
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