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Cultures et societes en Egypte et dans le monde arabe - Arab and Egyptian cultures and societies


Plongée au cœur du hip-hop égyptien

Publié par nicoducaire sur 19 Mars 2015, 15:32pm

Catégories : #Egypte, #Hip-hop, #Musique

Plongée au cœur du hip-hop égyptien

Samedi 21 février 2015, le studio Vibe  du Caire organisait un premier « atelier rap », avec 2 rappeurs emblématiques de la scène underground égyptienne : E-Money et Sphinx, du groupe Arabian Knightz.  Quatre heures pendant lesquelles on a parlé de musique bien sûr, mais aussi de bizness, de politique, de religion, le tout ponctué de citations de morceaux de rap en arabe ou en anglais ! Plongée au cœur du hip-hop égyptien…

 

Hiver 2015, Le Caire. Pour les medias internationaux, l’effervescence révolutionnaire est retombée, d’ailleurs la plupart des correspondants étrangers sont repartis, sur d’autres fronts, couvrir ce qui fait l’actualité.
Mais les changements sociaux et culturels entamés bien avant la Révolution de 2011 se poursuivent, en underground, avec les moyens du bord et grâce aux médias sociaux. La jeunesse égyptienne ne rêve peut-être plus de renverser le régime (du moins pas tout de suite), les aspirations économiques sont loin d’avoir été satisfaites, mais le désir de changement, lui, demeure, et s’exprime dans tous les domaines.


En Egypte, le mouvement hip-hop a accompagné le processus révolutionnaire. Après des débuts discrets, dans la scène underground du Caire et d’Alexandrie, dans les années 2000, il a connu son heure de gloire lors des grandes manifestations populaires, où les textes contestataires galvanisaient les foules. Puis l’enthousiasme est retombé, et le mouvement est retourné dans l’underground dont il est issu.
En témoigne donc, cet atelier, organisé autour des deux figures historiques de la scène hip-hop égyptienne, Sphinx et E-Money, du groupe Arabian Knightz, et fondateurs du collectif Arab League qui regroupe certains des meilleurs rappeurs du monde arabe (du Maroc à Oman, comme ils se plaisent à dire). Autour d’eux, une dizaine de jeunes, venus d’horizons différents mais tous animés par la passion du hip-hop et l’envie d’avancer dans cette voie. Un de Matareya, un des quartiers les plus pauvres du Caire, foyer de l’électro-chaabi , deux autres qui semblent plus a l’aise en anglais qu’en arabe, une femme voilée, une fille non-voilée… Des casquettes, des cheveux longs, des sandales… le hip-hop brasse vraiment un large spectre de la population égyptienne !
Quatre heures de discussions donc, d’échanges, d’apprentissage, où l’on est revenu aux racines du mouvement hip-hop. Le dialogue a commencé dans le hall du studio, où les deux rappeurs évoquent leur parcours. A un moment, quelqu’un fait référence à une vidéo du groupe, dont ils ne se rappellent pas. Illumination : « Ah, tu parles d’avant la révolution ? »
Car mine de rien, il y a un avant et un après la révolution, l’avant renvoyant désormais à un passé lointain et révolu (« zaman awy ! » en dialecte égyptien).


Au bout de quelques minutes, on s’installe dans le studio pour l’atelier à proprement parler. Pas de grandes différences, l’ambiance reste amicale et détendue, on est très loin des discussions/débats avec intervenants d’un côté et public de l’autre. Ici, c’est plutôt un enchaînement de questions/réponses, en toute humilité. On n’a pas l’impression d’assister à une rencontre entre des fans et des professionnels de la musique qui ont tourné dans tous les pays du monde (sauf la France !) et aux côtés de stars internationales comme Paul Mc Cartney, mais plutôt a un échange cordial entre grands frères qui ont de la bouteille et petits nouveaux avec des étoiles dans les yeux et la soif d’apprendre. Et tout y passe : les techniques d’écriture bien sûr, comment compter la mesure, où placer la rime, la différence entre métaphore et comparaison, etc. On se questionne aussi mutuellement sur les préférences et influences de chacun. Et ici, pas de doute possible, c’est le hip-hop américain qui s’impose ! Tout au long de l’après-midi, ce sont les noms d’Eminem, de Dr Dre, Notorious Big, Jay Z, Snoop Dog et autres incontournables du « rap ricain » qui reviennent dans la conversation. Mais on a également pu entendre les noms de Michael Jackson ou Nirvana, car comme le dit Sphinx : « il faut s’inspirer des grands ». Le hip-hop n’est pas une culture fermée, et a toujours été ouvert à toutes sortes d’influences.


On a ainsi beaucoup parlé, par exemple, des liens entre le hip-hop et les autres styles de musique : la pop mainstream américaine ou l’électro-chaabi locale. Aucun manichéisme ici, on est loin des clichés des rappeurs « authentiques » qui crachent sur la musique commerciale. Eminem par exemple, considéré par tous comme un des meilleurs rappeurs américains, a réussi le tour de force de faire écouter du « rap technique » aux amateurs de pop music, et personne ici ne le blâme pour ça, au contraire. Jay Z s’est construit un empire grâce à sa musique et son talent personnel, et c’est tout à son honneur… On sent bien là l’influence de la culture américaine et cette figure du « self-made man », parti de rien et devenu riche et célèbre, qui ne peut que parler à une jeunesse égyptienne en manque de perspectives…
Pour l’électro-chaabi, cette musique underground partie des bidonvilles du Caire, qui s’impose désormais comme le fond sonore de l’Egypte au quotidien, et dont certains artistes vont même jusqu'à faire des performances en Europe ou lors de shows  télévisés, même ouverture d’esprit. « Ceux qui disent que l’électro-chaabi n’est pas du hip-hop ne connaissent rien au hip-hop ». Et en effet, comment ne pas voir les similitudes entre ces deux expressions musicales, parties des quartiers les plus déshérités des grands centres urbains, véritables hymnes au mode de vie de la jeunesse de ces quartiers, qui mêlent les influences musicales les plus variées, pour finalement passer dans le registre populaire et se « démocratiser » ? MC Amin, autre membre d’Arab League, a ainsi été le premier rappeur à chanter sur de l’électro-chaabi, créant un énorme tube qui n’en finit pas de faire danser les foules, en Egypte comme ailleurs . Des artistes d’électro-chaabi ont d’ailleurs par la suite rejoint le collectif Arab League.


D'ailleurs, quand on pose la question « d’où vient le hip-hop ? », la référence à la lutte contre le racisme et au mouvement pour les droits civils aux Etats-Unis émerge spontanément, avant même les références musicales. Car le hip-hop, aux Etats-Unis comme en Egypte ou ailleurs, a toujours été associé aux revendications politiques et sociales des communautés dont il est issu. Mais pas seulement : pour E-Money, « le hip-hop, c’est comment tu te sens. Des fois tu as envie de parler des choses qui se passent dans ton pays et qui te touchent, des fois juste tu es content, tu as envie d’écrire une chanson plus joyeuse, des fois tu veux écrire sur les filles… » Pas de dogmatisme ici non plus, l’important c’est d’utiliser le hip-hop comme mode d’expression : il n’y a pas de thème obligatoire ou de manière de faire imposée… Mais bien sûr, les thèmes abordés dans le hip-hop comme dans la discussion touchent aux problèmes quotidiens vécus par les personnes concernées. La place des femmes par exemple, alors que la seule fille du groupe s’interroge sur pourquoi il n’y a pas de femmes rappeuses (sauf Malikah) dans le monde arabe. La menace terroriste, alors qu’une personne demande aux artistes ce qu’ils pensent de Daesh (ce à quoi ils ont récemment répondu dans ce morceau, remix de Nirvana …). La politique, quant ils nous apprennent que pendant des années, le groupe Arabian Knightz avait été black-listé en Egypte. Mais aussi les soucis de la vie quotidienne : pour E-Money, le meilleur moyen d’écrire, c’est de sortir dans la rue, et d’observer ce qu’il se passe. Il raconte que quand il était plus jeune, il se posait en face du kiosque en bas de chez lui pendant des heures, et c’est de là qu’il tirait son inspiration.


Face aux doutes émis par certains participants sur leurs capacités à écrire ou à percer dans ce milieu, un seul mot d’ordre : « Don’t stop yourself. Write ! » Pour Sphinx, la lecture et l’écriture, tout le temps, partout, sont la clef de la réussite.
Une réussite aussi bien intellectuelle que matérielle d’ailleurs, car dans un pays où il n’y a pas de circuit commercial pour ce type de musique, et à une époque où les réseaux sociaux remplacent les maisons de disques, il faut une certaine forme d’intelligence pour arriver à toucher la plus large audience et vivre de sa passion. « El-feloos », l’argent, est un terme qui est souvent revenu dans la discussion, de manière naturelle et décomplexée. C’est là tout le sens, pour Sphinx et E-Money, du mot « underground » : « un artiste underground, c’est un artiste indépendant, qui fait tout lui-même, et sans argent ». Etre underground n’empêche pas d’être connu ou de réussir matériellement, contrairement à ce que pourraient affirmer certains « puristes ». Il s’agit purement et simplement d’arriver à vivre de son art, et il n’y a rien de honteux à ça. « Au final, si je fais du rap, c’est parce que j’aime ça », conclut Sphinx.


Sur les clashes et la compétition entre les rappeurs, l’expression qui revient souvent est : « it’s a sport ! » Pour les deux artistes, le rap est comme un sport dans lequel on s’entraîne en permanence, et on cherche à être le meilleur, mais dans le respect de l’autre. C’est à ça que servent les battles : montrer sa supériorité sur son adversaire, en termes de flow, de technique, de langage, mais toujours dans le cadre d’une compétition a la loyale. La question a été posée : mais quelles sont les limites à ne pas dépasser ? particulièrement en Egypte ou les insultes sont fleuries et les nerfs souvent à vif… Pour Sphinx, « tant qu’on reste dans l’esprit du hip-hop, du respect de l’autre, il n’y a pas de problème ».


Respect et humilité sont deux termes qui caractérisent assez bien l’attitude des deux membres d’Arabian Knightz, tant vis-à-vis des autres rappeurs de la scène locale, que des jeunes participants à l’atelier. A la fin, lorsqu’il a fallu se présenter devant tout le monde pour lire le texte rédigé pendant l’atelier, bienveillance et encouragement étaient de mise : « personne n’a été mauvais, seuls l’entraînement et la pratique peuvent vous faire progresser ». Une humilité qui se ressent également dans le rapport qu’entretiennent les deux rappeurs face à la nouvelle génération, à laquelle ils sont tout prêts à donner sa place et a l’encourager autant qu’ils peuvent...
 

Images: Page Facebook du studio Vibe.

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