Scrivilo sui muri : Ecris-le sur les murs… Un titre en forme d’imprécation, de conseil, pressant, transgressif, mais plein de poésie à la fois.
A travers ces trois mots, on imagine déjà les états d’âme d’une jeunesse romaine frustrée, à l’avenir bouché mais tellement pleine de vie, de rêves, d’espoir ! On devine que ces désirs inassouvis, ces passions, ces émotions, ne peuvent trouver un exutoire que dans l’écriture… Mais, comment laisser sa trace, crier au monde sa vérité, dans une société de la surinformation où même les écrits s’envolent? Issus de familles « décomposées », à la limite entre l’insouciance de l’adolescence et le triste et sérieux monde des « adultes », les (anti-) héros de ce film sont ainsi caractéristiques de cette jeunesse romaine désabusée, qui ne se sent ni comprise ni représentée dans la société actuelle, médias et institutions publiques en tête. Leur vie, parfois drôle, parfois cruelle, souvent absurde, défile à toute vitesse, celle des motorini qui nous propulsent d’un quartier à un autre, fuyant ainsi parents, carabinieri, et les nombreux problèmes de la vie quotidienne…
Leur refuge : les murs de Rome, seul espace de liberté où ils peuvent exprimer les difficultés de la vie quotidienne, leurs sentiments, mais également leurs rêves et espoirs. C’est au travers des tags que cette nouvelle Fureur de vivre prend ainsi toute son ampleur : à la fois éminemment transgressifs, et hautement poétiques, ces dessins muraux sont ainsi caractéristiques des impasses et des échecs de notre société moderne. A chaque personnage est associé une image particulière, sa signature en quelque sorte, reflet de sa personnalité et signe de reconnaissance pour les membres de la communauté.
Acte politique, voire révolutionnaire, le tag constitue presque un mouvement social à part entière, définit des clans, répond à une éthique particulière, et tente d’échapper à une récupération commerciale, dans un monde où tout se vend, se consomme et devient objet de mode. Pour survivre, le mouvement tag se doit d’aller toujours plus loin, dans les endroits les plus inaccessibles, quitte à risquer sa vie…
Rome, cadre de l’action, pourrait être un personnage à part entière de ce film.
Reine couronnée, pleine d’élégances et de bonnes manières, tellement sûre de sa gloire et de sa beauté, malgré (ou grâce à) un âge déjà mûr, Rome traîne à sa suite une véritable cour des miracles : touristes éblouis brandissant caméras et guides de voyage, migrants de tous les continents venus trouver leur Eldorado, catégories populaires cherchant à s’assurer une vie meilleure, tous tentent de s’approprier une partie de la gloire et du mystère romains.
Au delà des temples, palais et églises, des œuvres d’art et des hommes d’Etat, Rome héberge ainsi une foule bigarrée, bruyante et agitée, de travailleurs, de migrants, légaux ou illégaux, de sans-abris, de chômeurs, de jeunes diplômés, qui la font vivre, autant qu’elle les fait vivre.
C’est de ces jeunes, au destin insignifiant, que ce film veut nous parler. De leurs amours, leurs amitiés, de fidélité et de respect… En écrivant sur les murs, ils s’approprient l’espace public, et montrent à la face du Monde qu’eux aussi nourrissent des rêves et des ambitions, et qu’au fond, Rome leur appartient bien, aussi, un peu…
Ce titre nous laissait percevoir la flamboyance d’un film moderne et poétique, de personnages en rupture avec la société, de thèmes politiques, transgressifs, révolutionnaires. On imaginait Rome, impériale, prise d’assaut par ces « barbares » au grand cœur, armés de bombes de peinture et de caméras. On espérait un final éblouissant, où les valeurs d’amitié et de fidélité prenaient véritablement leur sens, tragique et magnifique…
Certes, tous ces thèmes sont abordés dans le film de Giancarlo Scarchilli, mais, volonté délibérée du réalisateur ou contraintes de la production, on retombe très vite dans le registre de la tragi-comédie romantique, et l’intérêt s’estompe en même temps que le scénario s’essouffle…
Au final, on reste un peu frustrés donc, de ce que ce film aurait pu nous révéler, et qu’il préfère sous-entendre, dans des scènes parfois toutes en poésie et symboles…
Pour découvrir cette Rome jeune, vivante, désabusée mais pleine d’espoirs, que l’on aurait aimé voir, il nous faudra arpenter nous-mêmes les rues et quartiers populaires de la ville, en dehors des sentiers touristiques, en laissant, pour une fois, de côté nos guides de voyage...
Artcile écrit pour Babelmed.
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