Religion. Les Egyptiens sont de fervents croyants. Et cela s’illustre dans tous les aspects de leur vie au quotidien. Un constat confirmé par une étude effectuée par l’institut Gallup où sur 143 pays, l’Egypte vient en tête du classement.
La foi dans la peau
Une
simple promenade dans la rue révèle à première vue l’impact de la religion dans la vie de tous les jours. La confession est même mentionnée sur les papiers officiels. Selon la loi égyptienne,
seules les trois religions monothéistes sont portées sur les papiers d’identité. Dans tous les aspects de la vie, la religion est omniprésente. Elle s’implique dans le vécu de l’Egyptien. Le
sondage récemment effectué par l’institut américain Gallup sur 143 pays montre que la religion est importante dans la vie des Egyptiens. Avec 100 % des sondés qui ont déclaré que la religion
est importante dans leur vie, l’Egypte vient en tête du classement.
Et pour preuve, dans la rue, on a l’impression d’assister à une manifestation religieuse. Toutes sortes de slogans s’observent à travers les autocollants illustrant soit un verset de l’Evangile ou du Coran, un requin ou un poisson, une croix ou un « La ilaha illa Allah » pour obtenir la bénédiction de Dieu. Et ce n’est pas tout. La religion joue un rôle primordial dans les décisions les plus importantes, surtout le gagne-pain. Sameh, âgé de 25 ans, a démissionné de son poste de comptable dans une banque multinationale malgré sa rentabilité, car il a entendu dans le prêche du vendredi que ce genre d’activité peut être assimilé à de l’usure. D’autres cheikhs lui ont donné des avis plus ouverts, il a opté cependant pour la solution qu’il pense être plus conforme à sa religion, même si cette décision lui a coûté 10 mois de chômage. « Les intérêts de la banque sont illicites à 100 %, ma prière ne va pas être entendue par Dieu si mon argent n’est pas halal. A présent, j’ai la conscience plus tranquille après avoir trouvé un autre travail dans une entreprise de télécommunications », argumente Sameh. Cette tendance religieuse ne cesse d’avancer et a une répercussion sur les banques et les sociétés d’assurances. Mira, déléguée dans une société d’assurances privée, confie qu’avant de commencer sa tentative avec un client, elle prend en considération certains détails. « Si je ressens par sa tenue qu’il s’agit d’un homme pieux, avant d’expliquer mon programme, je lui avance une fatwa promulguée par Dar al-iftaa, considérant notre système d’assurance légitime et s’apparentant plus au système de solidarité sociale qu’au système d’assurance sur la vie », dit-elle, en ajoutant que cette astuce l’aide à faire face à la concurrence d’autres entreprises, dont les systèmes ont été jugés illicites.
Salma, 26 ans, tient toujours à faire sa prière d’istikhara (prière effectuée avant de faire un choix) avant de prendre toute décision, même s’il s’agit parfois de simples détails : choisir une femme de ménage ou même inscrire sa fille dans une école catholique ou islamique.
Une prière pour chaque décision
Pour
dire que la religion est un facteur important dans la prise de décision de tous les jours. La preuve : ce flux de fatwas qui circulent à tort et à travers via les différents réseaux et même les
médias. Selon les chiffres de Dar al-iftaa, 23 223 fatwas ont été promulguées en 21 ans, plus précisément 1 000 fatwas par an. Une chose qui a obligé cette institution religieuse à instaurer le
projet de lignes de téléphone islamique qui enregistre près de 10 000 consultations religieuses par mois.
Selon la sociologue Hoda Zakariya, professeure de sociologie politique à l’Université de Zagazig, la religion a toujours été primordiale dans la vie de l’Egyptien depuis la nuit des temps. Par nature, l’Egyptien, qui est un agriculteur, tenait toujours en compte cette force invisible qui fait mouvoir les éléments de la nature. Il recourait aux dieux pour obtenir leur aide ou éviter leur malédiction. Il était convaincu que leur intervention était indispensable à sa prospérité économique et sociale.
D’après une étude spécialisée sur les religions et intitulée « L’aube de la conscience », un chercheur américain a mentionné que les Egyptiens ont été les premiers croyants de l’Histoire
et les premiers à connaître la civilisation. « Puisqu’ils étaient les premiers à appeler à l’unicité de Dieu, les premiers aussi à connaître les religions célestes pour la simple raison
qu’autour de la religion se tissait la vie. Alors, dire que l’Egyptien est pieux n’est pas une chose nouvelle », explique le Dr Zakariya.
L’Egyptien a toujours eu l’art d’associer avec harmonie vie et religion. Or, cette dernière est devenue tellement importante qu’elle est classée en zone rouge, à laquelle il ne faut pas s’approcher, un tabou.
Une réalité qui complique la vie aux non pieux, aux laïcs et, pire encore, aux non-croyants. « Un non-croyant n’ose pas le déclarer dans la société égyptienne que dans des cercles très limités, par crainte d’être accusé d’apostat et que sa place soit en enfer. On n’ose même pas le mentionner dans les papiers officiels. Et bien que la religion soit un choix personnel, en Egypte, ce n’est pas le cas. On l’hérite de père en fils », dit S, intellectuel, qui a requis l’anonymat. Personne n’ose même la critiquer, critiquer ses symboles, ou même y faire allusion. La liste est longue d’intellectuels, d’artistes et d’écrivains dont les œuvres ont été interdites, car elles touchaient de loin ou de près à ce tabou.
Vie difficile pour les autres
La
dernière attaque du genre a été contre l’équipe du film 1-0 dont la diffusion est prévue dans quelques jours et dont les affiches ont commencé à envahir les rues du Caire. 10 avocats (chrétiens
et musulmans) ont envoyé un avertissement au premier ministre, au ministre de la Culture, à la commission de censure, au président du Centre de recherches islamiques, ainsi qu’à l’équipe du
film, afin d’interdire sa diffusion sous prétexte qu’il dédaigne le christianisme, car il présente l’histoire d’une femme divorcée copte qui aspire à réaliser le rêve de la maternité à travers
le mariage. Les avocats estiment que le mariage est parmi les 7 piliers sacrés de la religion et qu’on ne peut pas les critiquer, tout comme les 5 piliers de l’islam. L’héroïne du film, Elham
Chahine, déclare qu’il faut d’abord voir le film avant de juger. « Peut-être cela pourrait-il changer les choses à l’instar du film Oridou hallane (je voudrais une solution), diffusé dans les
années 1970 et qui a contribué à réformer la loi sur le Code civil », argumente Chahine.
Mariam Naoum, scénariste du film, voit les choses autrement. « Nous n’arrivons encore pas à faire la différence entre ce qui est religieux et ce qui est social. Dans mon film, je raconte l’histoire d’une femme, un être humain, j’aborde un sujet social. Le fait que l’héroïne du film soit copte est un détail important. Mais cela ne signifie en aucun cas que je dédaigne la religion. Cette tactique est de plus en plus utilisée par les conservateurs pour nous obliger de garder le silence », explique Naoum.
Un
tabou qui pourrait parfois servir comme arme contre celui qui ose transgresser les codes de la masse. La loi de la Hisba (qui autorise quiconque à intenter un procès contre toute personne qu’il
juge ayant porté atteinte à la religion), récemment annulée, a été utilisée depuis les années 1990 comme moyen de sanctionner toute personne accusée d’apostat. Les études du Réseau arabe des
droits de l’homme ont enregistré une hausse de ce genre de procès. La même source assure qu’un tribunal égyptien au Caire a examiné, en une seule journée, 20 procès de ce genre. La nouvelle
génération n’a pas été épargnée. Le blogueur Karim Amer, 21 ans, a été condamné à 4 ans de prison pour avoir critiqué des professeurs d’Al-Azhar, la plus haute institution religieuse en Egypte.
Et ce n’est pas tout. « La religion pourrait être utilisée pour enflammer une population », explique Hicham Aslane, fils d’un célèbre écrivain, qui raconte qu’il a vécu un véritable cauchemar
quand son père, qui occupait à l’époque un poste au ministère de la Culture, a autorisé l’édition de l’œuvre Walima li aachab al-bahr. « Des manifestations se sont déclenchées à l’Université
d’Al-Azhar. Toute la famille a eu la peur au ventre, craignant que la colère des étudiants et leur ferveur religieuse ne soient mal exploitées », dit-il. Il est difficile d’émettre un avis
autre que les avis ambiants. La levée de bouclier est vite enclenchée à chaque faux pas.
« Le régime se dit que vaut mieux les occuper par la religion, ainsi ils plongeront dans un profond sommeil et nous aurons la paix », comme l’explique le même intellectuel qui a requis l’anonymat. Une étude effectuée par le Centre d’informations dépendant du Conseil des ministres révèle que 89 % des Egyptiens sont satisfaits de leur niveau de vie. La foi semble être à l’origine de ce sentiment de satisfaction malgré l’injustice.
Dina Darwich
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