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nicoducaire

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Cultures et societes en Egypte et dans le monde arabe - Arab and Egyptian cultures and societies


L'Orient Le Jour: Le pharaon déchu

Publié par nico sur 11 Juillet 2006, 16:41pm

Catégories : #Egypte

Par Barry Rubin*

Le mouvement Kifaya est monté d’un cran dans son opposition au régime du président égyptien, Hosni Moubarak. Il vient de publier un rapport retentissant osant citer des noms et fournir des informations détaillées sur la corruption au sein de la direction du pays. Rien, dans la longue histoire de l’Égypte, n’a jamais égalé ce lavage de linge sale en public. L’action de Kifaya, particulièrement audacieuse, intervient au moment où le gouvernement prend des mesures sévères pour préparer la succession de Gamal, le fils de M. Moubarak. À titre d’exemple, une loi récente prévoit de punir tous ceux qui répandraient la rumeur que Gamal serait le prochain président. La corruption en Égypte, comme dans les autres pays arabes, est si répandue qu’elle entrave véritablement les progrès économiques, l’amélioration du niveau de vie, la liberté des médias, l’indépendance des tribunaux et la démocratie. L’élite politique égyptienne, qui redoute d’être critiquée par les médias, battue au cours d’élections régulières, voire même emprisonnée, préfère le régime existant et s’oppose à toute réforme de poids.
Il s’agit d’un des thèmes principaux du rapport intitulé : « Corruption in Egypt : A Black Cloud that Never Passes » (« La corruption en Égypte : un gros nuage noir qui refuse de passer »). Il en ressort que tant que le système sera corrompu par le haut, et tant que le seul moyen pour la population de traiter avec le gouvernement sera de recourir à la corruption, l’inaction prévaudra et les gens continueront à se tromper les uns les autres. En même temps, comme cela était le cas pour l’Autorité palestinienne de Yasser Arafat, la corruption du régime encourage les gens à se tourner vers l’islamisme radical, en essayant tant bien que mal d’avoir l’air honnêtes. Si les Frères musulmans venaient à accéder au pouvoir en Égypte, le rapport de Kifaya éclaircirait une grande partie du déroulement des événements.
Le rapport s’ouvre sur une plaisanterie sur le nom du pays, qui devrait être remplacé par « Fassadistan » (« terre de la corruption »). Il fait état de cas touchant aux domaines de l’immobilier, des affaires, de la santé, des transports, du commerce, des banques, de la drogue, de l’agriculture, de la politique, de la culture et des médias. Un chapitre porte sur la façon dont les forces de sécurité contrôlent les désignations à tous les postes-clés, y compris à ceux des écoles et des universités.
La partie la plus tragique du document concerne pourtant M. Moubarak lui-même. On y trouve une anecdote, tout à fait crédible, sur une réunion du président avec des officiers de la 3e armée, il y a deux ans. De jeunes officiers se sont plaints de la corruption, et M. Moubarak les aurait apparemment surpris en répondant qu’il savait pertinemment que bon nombre de dirigeants du pays étaient des voleurs, mais pensait qu’ils avaient assez volé pour être satisfaits. Il craignait que le fait d’avoir un nouvel entourage politique n’ait pour effet que celui-ci reprenne le flambeau des déprédations, ce qui serait bien pire pour l’Égypte.
Le rapport avance cependant que M. Moubarak, sa femme, Susan, et ses deux fils, Gamal et Alaa, sont loin d’être de simples spectateurs de la situation. Lorsque qu’il a accédé à la présidence en 1981, M. Moubarak a reçu du Parlement le droit d’avoir prise sur tous les contrats militaires, sans que ce dernier n’ait son mot à dire. Le président a donc le monopole sur les dépenses et importations militaires qui, chaque fois qu’il conclut un marché, généreraient d’incroyables dessous-de-table. Qui plus est, Susan Moubarak se trouve à la tête d’une centaine d’organisations caritatives, n’existant bien souvent que sur le papier. Le rapport révèle que ces organisations percevraient jusqu’à cinq millions de dollars US par an, mais qu’une grande partie serait ensuite détournée vers les comptes en banque secrets, à l’étranger, de la femme du président. L’ironie est qu’elle a fait pression pour qu’une loi de 1992 permettant aux organisations non gouvernementales égyptiennes de recevoir des fonds étrangers – disposition utilisée par certains groupes de l’opposition – soit validée, afin d’offrir davantage de possibilités aux ONG qu’elle dirige. Le fils du président, Gamal, dirigerait aussi des associations caritatives lui rapportant de l’argent, dont la célèbre al-Moustaqbal.
En outre, le rapport indique que les deux fils de M. Moubarak tirent profit de partenariats à but lucratif – sans même investir quoi que ce soit – avec un grand nombre de sociétés, dont Phillip Morris, Skoda Auto, Mövenpick, Vodafone, McDonalds et plein d’autres. Ils peuvent également obtenir des prêts bancaires non garantis, pour eux et leurs amis. Le rapport soutient que ces fonds sont fréquemment utilisés pour des transactions financières illicites, pour la négociation d’armes et le blanchiment d’argent. Les gains des fils de M. Moubarak proviendraient par ailleurs d’une incursion dans le trafic de drogue et l’exportation clandestine de trésors archéologiques – le patrimoine culturel de l’Égypte –, en collusion avec le ministre de la Culture, Farouq Husni, censé les protéger. Toute personne se mettant en travers de leur route peut être jetée en prison, sous de fausses accusations de trafic de drogue.
Kifaya affirme que les autres ministres ne valent pas mieux. Boutros Ghali, neveu de l’ancien secrétaire général des Nations unies, et Habib Aladli, ministre de l’Intérieur, de même que d’autres personnages influents, comme Ibrahim Suleiman et Safwat Sharif, se livrent à des transactions similaires, parfois avec les fils de M. Moubarak. En bref, il ressort du rapport que les autorités peuvent faire ce que bon leur semble, puisqu’elles ne sont pas tenues au respect de la loi, ni de la transparence. En ayant recours à la loi d’urgence, qui restreint les libertés depuis 1981, ainsi qu’à la censure et aux fraudes électorales, le gouvernement égyptien traite ses citoyens comme des serfs.
Pendant ce temps, la corruption massive ravage l’économie égyptienne : la croissance a chuté de moitié au cours des deux dernières années, le taux de chômage a augmenté et l’inflation est en hausse, entraînant l’érosion monétaire. Les investissements étrangers sont en déclin, la production locale est paralysée et appelle des importations coûteuses. Le mécontentement général, attisé par ces problèmes d’envergure, pourrait provoquer des soulèvements de révolte.
En publiant un rapport si détaillé, et en osant citer M. Moubarak et sa famille comme les grands coupables, Kifaya attaque le régime de front. La nécessité de réformes ne s’appuie pas seulement sur la volonté d’un meilleur mode de gouvernement ou sur des droits abstraits : la priorité est de sauver un pays pris à la gorge. Le régime pourrait bien riposter en tentant de resserrer son étreinte.

* Barry Rubin dirige le Global Research in International Affairs (Gloria) Center (Centre mondial de recherches en affaires internationales) et la « Revue des affaires internationales du Moyen-Orient » (« Meria »). Son dernier ouvrage s’intitule « The Long War for Freedom : the Arab Struggle for Democracy in the Middle East » (« La longue lutte pour la liberté : la lutte arabe pour la démocratie au Moyen-Orient »).

www.lorient-lejour.com

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