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Cultures et societes en Egypte et dans le monde arabe - Arab and Egyptian cultures and societies


Encore des nouvelles de la place Tahrir

Publié par nicoducaire sur 9 Juillet 2011, 15:11pm

Catégories : #Egypte

2 articles du Monde sur la situation place Tahrir, juste avant la grosse manif du 8 jullet.

 

L’esprit de la révolution égyptienne renaît place Tahrir

"Aussi longtemps que nous n'aurons pas de parlement élu, la place Tahrir sera notre assemblée du peuple. Inshallah, le 8 juillet, notre nouvelle assemblée aura à nouveau rendez-vous", appelait Zeinobia sur son blog Egyptian Chronicles. Des vœux qui se sont réalisés ce vendredi avec l'arrivée, dès le matin, de dizaines de milliers d'Egyptiens place Tahrir, au Caire, pour une nouvelle manifestation, placée sous le slogan "La révolution d'abord". Des manifestations ont également été organisées dans d'autres villes d'Egypte, notamment à Suez et Alexandrie.

"La révolution continue", scandaient les manifestants qui réclament l'accélération des réformes dans l'esprit de la révolution du 25 janvier."Originellement programmée à l'appel de "la Constitution d'abord", la manifestation est désormais davantage motivée par des demandes de justice, par l'indignation quant aux récents acquittements de ministres de l'ère Moubarak et par le mauvais traitement des familles des martyrs", explique Ursula Lindsey, sur le blog The Arabist.

L'appel à manifester avait été lancé de longue date par les révolutionnaires, excédés que les revendications qu'ils avaient formulées lors de la révolution du 25 janvier n'aient pas été entendues en haut lieu, cinq mois plus tard.

Le 4 juillet, la Coalition des jeunes de la révolution du 25 janvier a publié la liste de ses demandes sur sa page Facebook, ainsi qu'une invitation officielle au premier ministre égyptien, Essam Charaf, pour qu'il se joigne aux manifestants. La coalition appelle notamment à un renforcement des pouvoirs du premier ministre et à l'interdiction de toute activité politique pendant deux législatures pour les membres de l'ancien parti au pouvoir ; à davantage de justice sociale avec notamment des compensations pour les familles des martyrs de la révolution et la restitution des biens accaparés par la famille Moubarak ; à une justice indépendante et à la fin des procès militaires ; à la restructuration du ministère de l'intérieur et à la suspension des officiers accusés d'avoir tué des manifestants.

Le mouvement des jeunes du 6 avril s'est joint à cet appel à manifester, sur sa page Facebook, dénonçant une conspiration de la part des responsables corrompus de l'ancien régime restés au ministère de l'intérieur et à la justice. Il reproche au Conseil suprême des forces armées, au pouvoir pour mener la transition politique, de ne rien faire pour lutter contre cette "conspiration". Dans un premier temps, les jeunes du 6 avril avaient voulu placer cette manifestation sous le slogan "les pauvres d'abord".

 

UN APPEL À L'UNITÉ DES FORCES POLITIQUES

Dans une note sur son blog, Zeinobia raconte que le slogan de la manifestation a en effet suscité d'intenses débats entre partisans de "la Constitution d'abord" -qui souhaitent qu'une Constitution soit rédigée avant la tenue des élections - et les partisans des "élections d'abord". Les premiers souhaitaient que la manifestation du 8 juillet soit le jour de l'ultime combat. Pour Zeinobia, "bien entendu, cela dépasse la bataille Constitution vs. élections ainsi que 'les pauvres d'abord'. La question est de poursuivre la révolution. La demande pour la Constitution d'abord a été retirée car nous ne voulons plus de division". La page Facebook Nous sommes tous Khaled Said a également lancé un appel à l'unité de toutes les forces politiques.

De nombreux partis ont rejoint l'appel, à l'instar du parti Al-Adl ou du Wafd, deux partis libéraux. "La plupart des partis et mouvements de l'équipe pour 'la constitution d'abord' vont participer [...] et l'équipe pour 'les élections d'abord' a dit qu'elle irait tant que la manifestation n'appelait pas à 'la constitution d'abord'", précise Zeinobia. Un seul mouvement salafiste, la jeunesse salafiste, a dit qu'il participerait à la manifestation, pour protester contre les pratiques du ministère de l'intérieur, la lenteur des procès et pour une purge dans les médias.

Pour la blogueuse Zeinobia, si cinq mois après la révolution, les demandes formulées à l'époque n'ont pas été réalisées, la faute revient à la division et à la course au pouvoir. "Si nous voulons retourner place Tahrir et restaurer notre révolution alors nous devons y retourner pour de bon, dans le vrai esprit égyptien. Nous devons faire revivre cette expérience qui a ébloui le monde entier et nous a permis de faire bouclier contre le régime Moubarak", appelle-t-elle.

Elle exhorte ainsi les forces politiques à accueillir les bras ouverts la confrérie des Frères musulmans qui, une fois n'est pas coutume, a annoncé le 5 juillet, sur son site Internet, qu'elle participerait à la manifestation. Les Frères musulmans "qui ont évité les derniers rassemblements, allant jusqu'à qualifier les manifestants de 'traitres' - sont apparemment en adéquation avec l'humeur populaire (et les demandes de leurs jeunes cadres, plus probablement)", commente Ursula Lindsey.

 


 

Le chanteur de la place Tahrir

 Ramy Essam n'est pas encore une rock star internationale, même si, à 24 ans et à l'heure où fleurissent les révolutions arabes, tous les rêves, y compris les plus fous, semblent appartenir au domaine du possible. Pour l'heure, il est surnommé "le troubadour de la place Tahrir" par la presse égyptienne et ses apparitions font se pâmer les filles. Pour les irréductibles de la place, il incarne l'esprit de la lutte dans un contexte où une partie de la société voit d'un mauvais oeil ceux qui continuent à battre le pavé et critiquent l'armée au pouvoir.

Il y a quelques mois encore, cet étudiant en ingénierie civile se contentait d'une poignée d'amis pour public, et de sa chambre à coucher comme scène de spectacle. Les paroles des chansonnettes grattées sur sa guitare Fender exprimaient alors son "rejet" et son "dégoût" du régime du président Hosni Moubarak. Hormis ces représentations très privées dans l'appartement familial, seuls ses cheveux longs - un style détonant dans l'environnement conservateur de Mansoura, ville du delta du Nil située à 120 km du Caire - auraient pu, à l'époque, trahir le côté rebelle de cet étudiant sans histoire.

Comme beaucoup de jeunes de son pays, Ramy n'avait jamais mis un bulletin dans l'urne, ni milité dans un parti ou à une organisation politique. Mais comme beaucoup de jeunes de son pays, tout cela change brutalement après le 25 janvier 2011 et les grandes manifestations qui entraînent, le 11 février, la chute du raïs. En quelques jours, la place Tahrir du Caire est devenue l'épicentre et le poumon où palpite la révolution. L'étudiant décide de s'y rendre avec sa guitare et sa queue-de-cheval. "La place grouillait de monde, d'énergies, de cris et d'espoirs, se souvient-il. Je me sentais étranger. Je croyais que mes chansons rassembleraient des jeunes citadins comme moi, mais il y avait chaque jour autour de moi des vieux, des ouvriers, des paysans !"

Les Egyptiens aiment la musique. Les nuits de février sont froides et pour vaincre le sommeil, alors qu'il faut à tout prix "tenir" la place, les manifestants chantent. Tandis que les plus vaillants se battent aux barricades contre les nervis du régime, la chanson du célèbre compositeur égyptien disparu Cheikh Imam, Guevara est mort, résonne sur les lignes arrière avec la même intensité que si Guevara était tombé, en cet hiver, sur la place Tahrir.

Au lendemain du 2 février, journée marquée par l'attaque des groupes pro-régime montés à dos de chameau, la place ressemble à un hôpital de campagne. Ramy est le seul à chanter. "Ce fut le tournant de ma vie, dit le jeune homme. J'avais été blessé à la tête et un bandage me cachait la moitié du visage. J'ai vu notre foule silencieuse. J'ai pris ma guitare et me suis mis à chanter. Autour de moi, les manifestants avaient tous un pansement sur la tête ou le bras en écharpe. J'ai vu notre armée d'éclopés bouger en cadence. La place Tahrir m'a adopté ce jour-là, et moi, j'ai su que lui appartenais."

En effet, les ritournelles gaussant le pouvoir sont reprises sur la place. Alors que le gouvernement dénonce la présence d'agents étrangers qui alimenteraient la révolte avec de l'argent, Tahrir chante Riez Révolution ! :"Riez ah ah ah !/ Nous sommes un groupe de crétins infiltrés/ Riez ! Chacun de nous a gagné 20 euros et nous mangeons tous les jours au KFC/ Riez Révolution..." L'ambiance festive s'est installée sur la place qui explose de joie le 11 février, avec l'annonce du départ du raïs.

Ramy est au sommet de sa petite gloire. Tandis que la foule prend le chemin de la maison, lui ne peut plus quitter Tahrir. Il fait partie de ces irréductibles qui veulent maintenir la pression sur l'armée. Certains réclament même le départ du chef suprême de l'armée et somment le maréchal Tantawi de "dégager". Le 9 mars, l'armée décide de venir à bout de ce noyau dur. Deux cent vingt manifestants, dont Ramy, sont arrêtés et emmenés au Musée national où l'armée a établi ses quartiers.

"Les soldats m'ont d'abord déshabillé, affirme-t-il, puis ils m'ont frappé avec des tuyaux, des bâtons et des barres de fer. J'étais couché sur le ventre, ma jambe droite liée avec mes mains derrière le dos, comme un prisonnier de guerre ! Un militaire me piétinait le dos tout en enfonçant mon visage dans la poussière. Ils ne m'ont posé aucune question mais répétaient : "On va t'apprendre ce que signifie s'opposer à l'armée !" Ces types n'aiment ni la révolution, ni la musique, ni les cheveux longs. Ils ont coupé mes cheveux avec des lames de rasoir et du verre brisé. Heureusement, ils n'avaient pas pris ma guitare."

Ramy est libéré quelques heures plus tard, passe dix jours à dormir chez sa mère et retourne sur la place avec de nouvelles chansons. L'une moque les armées arabes, l'autre s'intitule Frappe-moi : "Ton comportement ne me surprend pas/ Tu ne m'affaiblis pas/ Plus tu me frappes et plus je m'accroche à mon rêve/ Frappe-moi ! ... "

Le chanteur a désormais les cheveux courts mais plus de 10 000 fans sur Facebook et Tunis l'a invité à chanter. La télévision égyptienne aussi, à condition qu'il n'entonne pas l'un de ses refrains visant l'armée.

Entre le "devoir de poursuivre la lutte" et le "succès international", Ramy n'a pas encore tranché. Il continue à animer la place Tahrir, comme en ce vendredi 8 juillet, "journée de justice pour les martyrs et les victimes de la révolution". Londres l'a aussi invité. "Si tout va bien en Egypte", il s'y produira dans un petit théâtre, le 22 juillet.

 

hennion@lemonde.fr

Cécile Hennion

 

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